Première grosse manifestation de Biocapi, de la théorie à la pratique
Publié en août 2024 | Ecrit par Emmanuelle Bigot
Ce
chapitre est dédié à Fred, Pat et Fety qui nous ont quitté trop tôt
.Ils ont vidé des toilettes à mes côtés. Il est aussi dédicacé à
Vincent qui a monté son entreprise en 2022 et qui a fait le grand saut de la théorie à la pratique.
Chance, malchance, chance, malchance, immense chance d'apprentissage !
Ici, on va se lâcher et appeler un chat, un chat, c'est du vécu poil au cul.
Sur la photo d'en-tête d'article, on peut voir Louis, un monsieur que j'avais rencontré sur un salon du bio à Lausanne et qui m'avait proposé son aide bénévole. Ce soir là, je crois que je l'ai épuisé ! 17 années plus tard, je lui en suis encore reconnaissante.
Après deux ans de bénévolat à installer et vider les toilettes gratuitement sur les festivals avec l'association Picabio, l'épuisement avait pris le dessus et surtout j'arrivais en fin de droit au chômage. Tout ça sans avoir trouvé un boulot aussi motivant que celui que j'avais quitté au skate-park de Lausanne. J'avais pris la décision de monter mon entreprise au mois de février 2007. Peu après, grâce au solide réseau tissé, toute frétillante, j'avais conclu positivement une offre avec les étudiants organisateurs de la fête de l'Uni de Neuchâtel. Le premier contrat officiel de l'histoire de Biocapi. Chance ! C'était un copain convaincu du système, membre du comité d'organisation qui avait négocié l'installation pour pas cher mes équipements flambants neufs : quatre toilettes en bois, le même nombre de toilettes monoblocs en plastique et 4 urinoirs sous tentes individuelles. Pour économiser, les organisateurs avaient décidé qu'ils feraient les transports. Cela m'arrangeait bien car j'avais les cabines mais aucun moyen de les déplacer au moment où j'ai ouvert l'entreprise. Je m'étais dit que je trouverai les solutions à mesure, notamment la location. Mes oreilles auraient dû siffler lorsqu'une connaissance m'a soufflé que c'était une sacré fête.
Lorsque la camionnette est arrivée pour charger les cabines, nous nous sommes rendu compte atterrés qu'elles ne rentraient pas dans le véhicule. Les budgets avaient été annoncés serrés, il ne semblait pas imaginable de trouver et louer une camionnette dans un délai aussi court. Malchance
Un des organisateurs proposa alors de démonter les cabines, de ne prendre que la base composée de la cuve avec son assise de toilettes montée sur une palette et d'utiliser mes tentes de toilettes pour reformer les cabines. La mort dans l'âme je dus me résoudre à cette solution en exigeant le remontage complet des équipements au retour. J'assistais horrifiée au forage de chacun des rivets et au désossage complet de mes équipements même pas encore étrennés.
Le remontage à Neuchâtel fut une épreuve, d'abord la pluie, puis encore la pluie. Ensuite, il fallu trouver les bonnes vis qui permettraient de remplacer les rivets dès le retour des cabines, soit une course effrénée dans des magasins de bricolage tout juste encore ouverts en cette fin de semaine. Au moment de mettre ma communication en place sur les cabines, plus de sac, il avait été dérobé. Les seules autres images qui me restent en tête avant le début de l'événement, sont les policiers accompagnés de chiens hurlants, marchant le long des colonnes de festivaliers, 12'000 personnes, se rendant à la fête.
La suite de la soirée fut une découverte : ce n'était ni un giron, ni un festival, certains espaces me rappelaient les raves de ma jeunesse. Cela pris rapidement la forme d'une incomparable beuverie estudiantine, parfaitement rythmée. Vers 22h00 tout le monde était bourré ou pété ou les deux. Lors de ma première tournée, l'horreur m'attendait déjà. Les urinoirs n'avaient pas tenu le choc et gisaient lamentablement par terre dans une bain de pisse couvert de paille. On ne le dira jamais assez la paille fait des miracles dans le domaine des odeurs. Hélas elle absorbe lentement. Idéalement, il faut qu'elle soit foulée, ce qui était présentement le cas puisque les jeunes fêtards entraient dans la tente urinoir et pissaient sur le tas, les pieds dedans. J'avais pourtant passé des heures à étudier le concept, faire tester aux potes de passage. Je n'avais juste pas intégré l'aspect « j'suis bourré, j'tiens plus d'bout ». Tout ça faisait quand même beaucoup de pipi, la fête de l'Uni, se sont 8'000 l de bière qui partent en quelques heures. Ça ne rigole pas.
A ce stade de la soirée, il n'y avait déjà plus rien à faire que laisser-faire et rajouter de la paille. Les belle cabines en bois, flambant neuves étaient déjà bien pleines et nous fîmes donc une 1ère vidange, nettoyage pendant lequel je trouvais par terre 4 billets de 100.-- flambants neufs. Avec la mise en route de l'entreprise, et les investissements consentis, j'étais financièrement à sec et ces 400.-- CHF là me parurent tombés du ciel ! Chance !
Je les glissais dans ma banane et invitais l'ami qui me donnait un coup de main bénévolement (encore merci à toi Louis) pour cette première, à boire et à manger à volonté pour la pause. Arrivés devant le stand, au moment de régler l'addition, mon butin ne réapparut jamais. Les billets étaient retombés par terre au milieu de la foule. Malchance. Dans mon porte-monnaie officiel, j'avais tout juste assez pour payer notre commande, chance. A partir de là, je vous laisse marquer le rythme des chances et pas chances de ces 48 heures hors du commun.
Le reste de la nuit s'est déroulé comme prévu mais en plus intense que tout ce que j'avais expérimenté lors de nos deux années de bénévolat avec nos 2 cabines : échanger les bidons, recharger les copeaux, nettoyer, encore nettoyer... Observer les usagers qui découvraient le concept de toilettes sèches et hurler de rire lorsque bien tard dans la nuit, pas loin du matin, une jeune dame très bourrée fit pipi directement assise dans le bac à copeaux, la porte grande ouverte.
La fin de la fête avait sonné, mon ami avait terminé son service éreinté et avec les organisateurs, nous avons entrepris la vidange des tanks d'urines des toilettes monoblocs dans un regard d'eaux usées. Un jeune du staff maniait le transpalette et je lui ai tout de suite indiqué l'importance de parfaitement centrer l'engin par rapport aux pieds des cabines. C'était important, 240 litres de pipi à la bière attendait leur heure pour s'écouler par le tuyau de fond de cuve. Nous n'avons jamais eu le temps d'arriver aux regard d'eaux usées, le jeune a pris un bel élan et à envoyé le transpalette complètement de travers, heurtant la petit pièce de 5 cm qu'il ne fallait surtout pas toucher sous la cabine. Elle s'est arrachée et nous avons assistés impuissants au déversement de 240 l d'urine sur les beaux quais du lac de Neuchâtel. Un cauchemar de pisse. Les trois autres cabines ont pu être vidées correctement, le message était passé.
Le gros matériel rentrait le lendemain, je devais encore rassembler mes affaires et enfin retourner chez moi. Je conduisais petite une remorque (prêtée) pour la 3e fois de ma vie, la deuxième étant le trajet aller. 5 ans avant j'avais cassé le phare de la voiture tractrice sur le coin de la remorque lors d'une malheureuse manoeuvre. Ça m'avait bien refroidi, je n'ai pas assez joué au petit tracteur à remorque quand j'étais enfant pour comprendre le truc des manoeuvres. Je chargeais tant bien que mal le matériel et crochais quelques tendeurs en travers.
A trois heures du matin, je me mis enfin en route – dans un espèce d'état de choc - pour effectuer les 80 km qui me séparaient de la maison. Après 30-40 km d'autoroute en ligne droite, à la hauteur de Grandson, je vis quelque chose bouger dans le rétroviseur et doucement mais sûrement, un bac tout neuf, encore jamais utilisé s'envola par dessus la remorque, suivi d'un deuxième tout aussi neuf, pour atterrir sur le bas côté de l'autoroute déserte. Adieu, bacs, cochons, couvée, je laissais le matériel derrière-moi, je ne pouvais pas me permettre un retrait de permis, ni une amende et par la suite, j'appris rapidement à sécuriser un chargement. Je suis même restée très maniaque sur le sujet !
Il m'a fallu sortir de l'autoroute et prendre quelques dizaines de minutes sous un pont, avant de pouvoir repartir.
La fête était finie mais le matériel devait encore être rapatrié et remonté par les organisateurs qui arrivèrent le lendemain avec des heures de retard, pleins comme des oeufs sauf le chauffeur. Là je ne pensais qu'à dormir, et le remontage fut expédié fissa avant de m'écrouler. Au réveil, un peu sonnée, je me suis demandée, si j'avais fait le bon choix, pourtant si cette soirée m'a appris des choses à 600km/h, c'est la seule fois en 15 années que cette question m'a effleurée. Mes cabines ont fait encore 12 années de bon services avec leurs boulons pour Biocapi, certaines sont encore en place, en cabines fixes pour des sociétés1 et clubs divers dans le canton de Vaud.
1Appellation suisse de certaines associations locales